«Mais en fait l'amitié ne durait pas. C'était cela qui décevait Gilles, c'était justement dans l'ordre de la durée qu'il avait cru que l'amitié pouvait surpasser l'amour. Or, il s'apercevait qu'il en était de l'amitié comme de l'amour. C'est une passion qui a la violence et la fragilité des autres passions. Et elle n'en a sans doute pas la puissance de renouvellement, car il est plus facile de reflamber, à quarante ou à cinquante ans dans l'amour que dans l'amitié. Il y a plus d'amertume et de découragement à l'intérieur d'un sexe à l'autre. L'amitié demande trop d'efforts et de sacrifices qui touchent à la substance même d'un homme, qui menacent son originalité et sa nécessaire persévérance en soi-même. Un ami, c'est une chance unique de connaître du monde autre chose que soi ; chance sur laquelle un esprit généreux se jette d'abord avec ivresse et que bientôt en ayant assimilé quelque chose d'indicible, il rejette avec crainte et horreur. Enfin l'amour fait une concurrence de plus en plus déloyale à l'amitié à mesure qu'on avance en âge, en l'assimilant. Au fond l'amitié n'est possible que dans la jeunesse, où elle se confond avec la découverte de la vie et de l'amour, où dans la guerre, ou dans la révolution qui n'est qu'une forme de guerre, état extrême qui fait de l'homme un être détaché comme le jeune homme.»
Gilles. Drieu La Rochelle. Gallimard (1939)
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