samedi 7 juin 2014

«Le retour de maman, c'était la main qu'un dieu enjoué tendait à Karel en souriant. Plus le moment était mal choisi, plus elle arrivait à point. Elle n'avait pas à chercher d'excuses, Karel l'assaillit aussitôt de questions chaleureuses : qu'avait-elle fait tout l'après midi, ne s'était-elle pas sentie un peu triste, pourquoi n'était-elle pas venu les voir ?
Maman lui expliqua que les jeunes avaient toujours plein de choses à se dire et que les personnes âgées devaient le savoir et éviter de les déranger.
Déjà on entendait les deux filles qui s'élançaient vers la porte en s'esclaffant. Eva entra la première, vêtue d'un tee-shirt bleu foncé qui lui venait exactement là où finissait sa toison noire. A la vue de maman, elle prit peur, mais elle ne pouvait reculer, elle ne pouvait que lui sourire et s'avancer dans la pièce vers un fauteuil pour y cacher bien vite sa nudité mal dissimulée.
Karel savait que Marketa la suivait de près et il se doutait qu'elle serait en robe du soir, ce qui, dans leur langage commun, signifiait qu'elle n'aurait qu'un collier de perles autour du cou et, autour de la taille une écharpe en velours écarlate. Il savait qu'il devait intervenir pour l'empêcher d'entrer et épargner à maman cette frayeur. Mais que devait-il faire ? Fallait-il qu'il crie n'entre pas ? ou bien, habille-toi vite, maman est ici ? Il y avait peut être un moyen plus habile de retenir Marketa, mais Karel n'avait pour réfléchir qu'un ou deux secondes pendant lesquelles il ne lui vint aucune idée. Il était au contraire envahi par une sorte de torpeur euphorique qui lui enlevait toute présence d'esprit. Il ne faisait rien, de sorte que Marketa s'avança sur le seuil de la pièce et elle était vraiment nue, avec seulement un collier et une écharpe autour de la taille.»

Le livre du rire et de l'oubli. Milan Kundera. Gallimard (1985)

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