«Le petit garçon porta à ses lèvres la main de sa soeur, puis interrompit son geste. Il avait chaud et les tiges courtes et résistantes lui déchiraient les pieds. Il les sentait, maintenant. Il baissa la tête et vit que certaines des tiges étaient rouges. Il se rappela des matins d'autrefois, au bord de la mer. Pas à Saint-Jean. Le ciel bas était clair, d'une fraîcheur laiteuse au-dessus des falaises. Jos poursuivait Manuel. Dans la folie du jeu, il s'engageait sur un banc de toutes petites moules, du naissain, à demi enfouies dans le sable. On eût dit une poussière de granit, noire et mouillée. Au moment où il arrivait dessus il pensait brièvement : " Non, pas là, je vais m'abîmer les pieds." Mais il était trop heureux, il s'amusait trop, et l'enfant Jos courait derrière lui en poussant des cris de joie parce qu'elle allait le rattraper. Alors il avançait de plus belle, et les valves minuscules étaient coupantes comme des rasoirs. Et le soir, quand il se couchait, encore tout plein de l'odeur de sel, et d'air libre, et de varechs iodés de la plage, la plante de ses pieds semblait brune, tellement il s'y entrecroisait d'entailles, de dentelures et de déchirures.»
Mano l'archange. Jacques Serguine. Editions Gallimard (1962)
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