«Voici ce que papa me racontait quand j'avais cinq ans : chaque tonalité est une petite cour royale. Le pouvoir y est exercé par le roi (le premier degré) qui est flanqué de ses deux lieutenants (le cinquième et le quatrième degré). Ils ont à leurs ordres quatre autres dignitaires dont chacun entretient une relation spéciale avec le roi et ses lieutenants. En outre, la cour héberge cinq autres notes qu'on appelle chromatiques. Elles occupent certainement une place de premier plan dans d'autres tonalités, mais elles ne sont ici qu'en invitées.
Parce que chacune des douze notes a une position, un titre, une fonction propres, l'oeuvre que nous entendons est plus qu'une masse sonore : elle développe devant nous une action. parfois les événements sont terriblement embrouillés (par exemple comme chez Mahler ou plus encore chez Bartók ou Stravinsky), les principes de plusieurs cours interviennent et tout à coup on ne sait plus quelle note est au service de quelle cour et si elle n'est pas au service de plusieurs rois. Mais même alors, l'auditeur le plus naïf peut encore deviner à grands traits de quoi il retourne. Même la musique la plus compliquée est encore un langage.»
Le Livre du rire et de l'oubli. Milan Kundera. Editions Gallimard (1979)
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