«Les jours étaient d'une torridité infernale. On voyait nettement au-dessus des champs, chatoyer de lourdes nappes de chaleur transparentes. Mais les nuits étaient merveilleuses, ensorceleuses, smaragdines.
La lune brillait et enveloppait l'ancien domaine des Chérémétiev d'une beauté qui défie toute description. Le palais, transformé en sovkhose, était phosphorescent, on eût dit qu'il était en sucre. ; le parc était plein d'ombres vacillantes, et, dans le clair obscur des étangs, les rayons obliques de la lune côtoyaient d'insondables ténèbres. Là où régnait le clair de lune, on aurait pu lire sans difficulté les Izvestia, à l'exception de la rubrique des échecs, imprimée en tout petits caractères. Mais cela tombe sous le sens, qui donc lirait les Izvestia quand la nuit est si belle ?...
Dounia, le femme de ménage, se trouvait par hasard dans un bosquet derrière le sovkhose, et, pure coïncidence, il y avait là aussi, nanti d'une belle paire de moustaches rousses, le chauffeur de la camionnette déglinguée du sovkhose. Qu'y faisaient-ils ? Nul ne le sait. Ils avaient trouvé refuge dans l'ombre peu fournie d'un orme, à même le manteau de cuir du chauffeur, préalablement déployé contre terre. Cependant que dans la cuisine du sovkhose, à la lueur d'une ampoule électrique, dînaient deux maraîchers, tandis que Mme Rokk, vêtue d'une capote banche, était assise dans la véranda à colonnade et rêvait en contemplant la lune resplendissante.»
Les Œufs fatidiques. Mikhaïl Boulgakov. L'Âge d'Homme (1987)
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