«Je comprends seulement maintenant l'une des choses que répétait le maître, la sensation de viser à côté de la cible, de ne pas être au coeur de ce qu'on a à dire, ce qu'on a à faire, de se heurter à l'épaisseur du réel, à une paroi impossible à percer ou à contourner - tels étaient ses mots - de ne pouvoir passer de l'autre côté.
Le chant, disait-il, est une tentative d'atteindre l'infini. La voix s'étire comme un arc bandé puis la flèche est lancée et plonge en plein coeur ou tombe à côté. Avez-vous éprouvé cette sensation, disait-il, cette sorte de douleur, ce serrement de coeur quand on vous dit quelque chose de particulièrement juste ou d'effrayant, d'émouvant, quelque chose qui vous atteint ? Cela arrive dans la musique et c'est ce que je cherche à produire, cette douleur douce. Mais ce but nous échappe et même quand un morceau est achevé, on ne sait pas si la flèche s'est plantée au coeur ou si elle est retombée à côté, jusqu'au moment d'entendre le morceau interprété - on ne sait pas si on a réussi ce qu'on voulait et si tel était le cas, il est trop tard.»
Conversation avec le maître. Cécile Wajsbrot. Denoël (2007)
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