«Notre amie Sorana Gurian est morte il y a quelques années d'une grave maladie. Pendant des mois, pendant un an ou deux, jour après jour, des piqûres prolongeaient son existence, la tenant en sursis d'un jour à l'autre.
Michel M., psychothérapeute, pensait que l'angoisse dans laquelle vivait Sorana était inhumaine, intolérable. Il décida de faire quelque chose pour elle, de l'aider au mieux de ses forces. Il se rendit un jour à la clinique, puis le lendemain, puis tous les jours, pendant deux mois ou trois. Il se devait d'apprendre à Sorana à mourir, de lui apprendre la mort. Il réussit dans cette difficile entreprise. Un matin, toute calme, Sorana déclara au médecin qui venait lui faire sa piqûre quotidienne, qu'elle n'en voulait plus, qu'elle ne voulait pas non plus être endormie, afin de garder une conscience intacte jusqu'au dernier moment. Une semaine après elle mourut dignement, comme elle l'avait désiré.»
Journal en miettes. Eugène Ionesco. Mercure de France (1967)
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