«Le soir, nous nous retrouvions à l'apéritif, les dernières corvées effectuées, avec un agent auxiliaire de l'Administration, M. Tandernot qu'il s'appelait, originaire de La Rochelle. S'il se mêlait aux commerçants, Tandernot, c'était seulement pour se faire payer l'apéritif. Fallait bien. Déchéance. Il n'avait pas du tout d'argent. Sa place était aussi inférieure que possible dans la hiérarchie coloniale. Sa fonction consistait à diriger la construction de routes en pleines forêts. Les indigènes y travaillaient sous la trique des miliciens évidemment. Mais comme aucun Blanc ne passait jamais sur les nouvelles routes que créait Tandernot et que d'autre part les Noirs leur préféraient aux routes les sentiers de la forêt, pour qu'on les repère le moins possible à cause des impôts, et comme au fond elles ne menaient nulle part les routes de l'Administration à Tandernot, alors elles disparaissaient sous la végétation fort rapidement, en vérité d'un mois sur l'autre, pour tout dire.
"J'en ai perdu l'année dernière pour 122 kilomètres ! nous rappelait-il volontiers ce pionnier fantastique à propos de ses routes. Vous me croirez si vous voulez !..."
Voyage au bout de la nuit. Louis-Ferdinand Céline. Editions Gallimard (1952)
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