lundi 29 décembre 2014

Tentative d'autoportrait (10)

« Hussonnnet ne fut pas drôle. A force d'écrire quotidiennement sur toutes sortes de sujets, de lire beaucoup de journaux, d'entendre beaucoup de discussions et d'émettre des paradoxes pour éblouir, il avait fini par perdre la notion exacte des choses, s'aveuglant lui-même avec ses faibles pétards. Les embarras d'une vie légère autrefois, mais à présent difficile, l'entretenaient dans une agitation perpétuelle ; et son impuissance, qu'il ne voulait pas s'avouer, le rendait hargneux, sarcastique. A propos d'Ozaï, un ballet nouveau, il fit une sortie à fond contre la danse, et, à propos de la danse contre l'Opéra ; puis à propos de l'Opéra, contre les Italiens, remplacés maintenant, par une troupe d'acteurs espagnols, "comme si l'on n'était pas rassasié des Castilles !" Frédéric fut choqué dans son amour romantique de l'Espagne ; et, afin de rompre la conversation, il s'informa du Collège de France, d'où l'on venait d'exclure Quinet et Mickiewicz. Mais Hussonnet, admirateur de M. de Maistre, se déclara pour l'Autorité et le Spiritualisme.  Il doutait, cependant, des faits les mieux prouvés, niait l'histoire, et contestait les choses les plus positives, jusqu'à s'écrier au mot géométrie : "Quelle blague que la géométrie !" Le tout entremêlé d'imitations d'acteurs. Sainville était particulièrement son modèle.»

L'Éducation sentimentaleGustave Flaubert. Librairie Générale Française (1972)

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