«Je me souviens très bien de la tête de l'homme. Elle était rêche et frustre, avec des rides comme des fissures, des sourcils buissonnants qui cachaient des yeux noirs et brillants. Il roulait les r comme le torrent qui longeait notre route roulait des cailloux. Il portait à l'épaule une sorte d'outre en peau, à demi-vide. Nous nous sommes installés naturellement dans les rôles que nous confiait la distribution, dans les personnages que les siècles nous imposaient : moi voyageur, donc narrateur, conteur, récitant. Je retrouvais l'office déjà oublié de mes douze ans, qui consistait à marcher au bord de la route en racontant des histoires. Puis, nous sommes arrivés à la maison, en contrebas de la route, reliée à elle par un chemin de terre, le toit fait de ces plaques d'ardoise ou de schiste qui pèsent des tonnes et durent des siècles, qu'on appelle en Auvergne des lauses et qui doivent avoir en Navarre je ne sais quel nom remonté de la préhistoire. La femme parut sur le seuil, noire et forte autant qu'il était maigre et long. Autour d'elle, contre elle, sous elle, me regardant venir, des enfants : cinq ou six garçons, autant de filles. La nuit tombait.»
Stradella. Philippe Beaussant. Editions Gallimard (1999)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire