«Voilà un homme qui, selon la vraisemblance, a éprouvé en lui-même l'élan du courage et le mépris des petits intérêts, cette poésie enfin qui rend la vie belle. Il a changé et il croit que ce sont les hommes qui ont changé. "Il n'y a plus de foi", c'est le mot de la cinquantaine, si elle n'est pas soutenue, par des principes fermes, contre la nature défaillante. De quoi le naïf accuse les mœurs, les lois, les romans, les journaux, tout excepté lui-même. Il ne manque pourtant jamais de héros en aucun temps, contre le feu ou contre l'eau ; ni d'enthousiasmes pour la justice. Mais cet œil fatigué voit les choses en grisaille. D'où vient que les hommes d'expérience arrivent presque toujours à cette doctrine courte, d'après laquelle l'homme n'agit jamais qu'en vue de sa propre conservation. Cette brillante perspective, au bout de laquelle se montre la mort inévitable, conduit à des rêveries peu agréables qui réagissent fâcheusement sur un estomac déjà fatigué. Tous les dangers sont grossis, surtout ceux contre lesquels le courage des jeunes peut seul quelque chose. La race est usée ; la France est vieille ; déjà ils voient l'ennemi dans la capitale. J'ai entendu plus d'une déclamation de ce genre, et j'admirais comme les poltrons sont redoutables ; car la jeunesse doit être retenue, non fouettée, et rafraîchie, non échauffée. Ces vieillards jouent avec le feu.»
Mars ou la guerre jugée. Alain. Éditions Gallimard (1936)
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