«Je ne prétends pas que l'homme instruit ressente les choses plus vivement, plus douloureusement du fait qu'il est plus développé. L'âme et son développement ne se mesurent pas d'après des données fixes. L'instruction même, en ce cas-là, ne saurait servir de mesure. Je suis le premier à reconnaître que parmi les gens les moins instruits, les plus abjects, les plus misérables, j'ai rencontré les traits du plus parfait développement moral. Ainsi au bagne, j'ai connu les mêmes hommes pendant plusieurs années, je les ai méprisés d'abord, ne voyant en eux que des bêtes fauves. Et tout à coup, au moment le plus inattendu, leur âme s'épanchait involontairement au-dehors. Elle révélait une telle richesse de sentiments, tant de cordialité, une si claire compréhension de sa propre souffrance et celle d'autrui, qu'au premier mouvement je n'en croyais ni mes yeux ni mes oreilles. Le contraire a lieu aussi : l'homme cultivé dévoile quelquefois une barbarie et un cynisme à vous donner la nausée, et quelque indulgent, quelque prévenu que l'on soit, on ne saurait lui trouver ni justification ni excuse.»
Souvenirs de la maison des morts. Dostoïevski. Éditions Gallimard (1950)
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