Comme un avion : Bruno Podalydès sur un kayak
L’acteur et réalisateur signe une comédie douce-amère dont le héros est un cadre désireux de larguer les amarres.
Franck Nouchi (Le Monde) 03 janvier 2019
Un mot suffit parfois pour changer le cours d’une vie. Un mot, pour se laisser ensuite porter par le courant. Dans le cas de Michel, infographiste dans un atelier de création graphique en 3D, le sésame fut une expression prononcée un jour par Rémi, son boss : « vision palindromique ». Le genre de truc qui ne veut rien dire, et qui un jour finit par déboucher sur tout autre chose : kayak. Envie d’évasion. Envie de larguer les amarres. Rêver, autre palindrome, tout éveillé, pour de vrai. Quelque chose de René Char lorsqu’il écrivait : "Impose ta chance, serre ton bonheur. A te regarder, ils s’habitueront."
Alors, Michel n’eut plus qu’une idée. Non pas voler, même si sa passion de toujours était l’Aéropostale, et Vol de nuit, son livre de chevet. Moins dangereux, plus en phase avec son tempérament volontiers pépère et prudent, ce serait la navigation fluviale. En kayak, justement, doté de tout le « matos » nécessaire. Qui veut voyager loin prépare sa monture…
Avant le grand départ, il y eut donc le moment magique de la décision. Commander un kayak en kit sur Internet. En prendre livraison. Le monter dans sa chambre. L’essayer pour de faux sur le toit de l’immeuble de La Celle-Saint-Cloud. Montrer l’embarcation à Rachelle, en espérant que cette femme, belle et lumineuse, comprendrait ce désir irrépressible de larguer les amarres. De partir à l’aventure.
L’aventure à deux pas de chez eux
Cette épouse apparemment admirable comprendra. Mieux, même, elle l’encouragera, avec ce qu’il faut de tendresse et de bienveillance. Une semaine de congés pour aller jusqu’à la mer ? Mais ce ne sera guère suffisant. Tu devrais voir plus grand. Plus loin. Plus longtemps…
Pas du genre à tenter l’impossible, Michel. Plutôt tout le contraire. On imagine le Vieux Campeur dévalisé en un après-midi. « Comme un avion sans ailes… » : Sur l’air fameux de CharlElie Couture, les voilà partis tous les deux dans la petite Smart, kayak sur le toit, vers le lieu de la mise à l’eau. L’aventure à deux pas de chez eux, une jolie rivière dans l’Yonne. Dernière check-list. Trac. Première tentative. Ratée. Deuxième… C’est parti !
A ce stade du film – et de cette critique –, une question surgit : de quoi s’agit-il ? Une comédie burlesque ? Une histoire douce-amère, vaguement dépressive ? Une fable ? Un film sociologique sur un cadre bobo en mal de sensations et de dépaysement ?
De l’humour, beaucoup, mais aussi un regard lucide et sans complaisance posé sur la vie qui va
La suite, à peine quatre kilomètres plus loin, en décidera. Premier arrêt. Premier amarrage. Première escapade. A quelques encablures, le paradis sur terre. Une maison à la française, un restaurant buvette, sa jolie serveuse, sa belle patronne ; et deux énergumènes, casque Bluetooth sur la tête, en train de repeindre en bleu tout ce qui leur tombe sous la main.
Michel, qui pense enfin toucher au but. Ne plus sentir la pression du temps. Certes mentir un tout petit peu, trois fois rien, quelques photos avec son smartphone pour laisser croire à sa femme qu’il continue à voguer, mais pour la bonne cause : se laisser vivre, sans contrainte, au fil de ses désirs et des désirs des autres.
On retrouvera dans Comme un avion ce qui faisait le charme et la poésie des précédents films de Bruno Podalydès, en particulier Dieu seul me voit (Versailles-Chantiers) et Liberté-Oléron. De l’humour, beaucoup, mais aussi un regard lucide et sans complaisance posé sur la vie qui va (plus ou moins bien d’ailleurs).
S’offrir une petite folie
Michel, c’est donc Bruno Podalydès. Réalisateur et acteur. Le genre de type qui, arrivé à la cinquantaine, pas trop heureux du sort que lui réserve la vie – il se rêvait en Mermoz, alors, pensez, des infographies en 3D, ça ne le fait pas forcément ! – veut forcer son destin. Enfin, forcer, n’exagérons pas, disons plutôt s’offrir une petite folie, à l’écart du train-train routinier. Décision d’autant moins évidente qu’il vit avec une femme « lumineuse » – c’est lui qui le dit (Sandrine Kiberlain). Mais c’est justement parce que sa femme l’est à ce point, merveilleuse, compréhensive, attentive, que lui, le bobo bourru – tellement obsédé par le « matos » qu’on se dit que cela doit bien cacher une foultitude d’angoisses et de névroses – ose ce grand départ.
Enfin, là encore, modérons l’expression : un tout petit départ de rien du tout sur une petite rivière, certes paradisiaque, mais de rien du tout elle aussi. Aventure toute relative, mais aventure tout de même. Evasion. Appropriation du temps. Et découverte d’autres gens, différents, moins stressés, moins urbains, la délicieuse Mila (Vimala Pons) et la plantureuse et énergique Laetitia (la patronne de l’auberge enchantée, Agnès Jaoui).
A mi-film, on se dit que l’utopie va triompher, à la manière d’un manifeste new age soixante-huitard ; et puis non, la vie – et la géolocalisation – reprend ses droits. Impossibilité de s’échapper, comme ça, au fil de l’eau, en douceur. Juste une fenêtre ouverte, un moment sur un coin de paradis. Un avant-goût de liberté ? Même pas, tant ce Michel semble d’emblée peu enclin à toute forme de rupture, prisonnier d’une société qui l’a formaté à souhait.
Comme un avion, film de Bruno Podalydès. Avec Bruno Podalydès, Sandrine Kiberlain, Agnès Jaoui (Fr., 2015, 105 min).
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