«Souvent, tandis que je me traînais sur le chemin du retour, l'étui à cigarettes vide, le visage brûlant sous la brise aurorale comme si je venais tout juste de me défaire d'un maquillage de théâtre, chacun de mes pas résonnant douloureusement sous mon crâne, je tournais et retournais dans ma tête le souvenir du misérable petit plaisir que je venais d'éprouver, et je m'étonnais, je m'apitoyais sur moi-même, je me sentais abattu et effrayé. Le sommet de la jouissance amoureuse n'était pour moi qu'un monticule blême dominant une perspective implacable. Pour pouvoir supporter sa vie, un homme a besoin de connaître des moments de vacuité absolu. Or je me sentais perpétuellement exposé et perpétuellement lucide ; même pendant mon sommeil, je ne cessais de m'observer, butant sur l'absurdité de mon existence, perdant la tête devant mon incapacité à jouir un instant de la vie, inconscient de moi-même, enviant le sort de tous ces simples - employés de bureau, révolutionnaires ou commerçants - qui croient à leurs petites occupations et s'y adonnent avec enthousiasme.»
Le Guetteur . Vladimir Nabokov. Gallimard (1968)
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