«Voir devant soi la haine et la fureur ; pire, les sentir en soi-même comme une crue ; chercher des causes de cela ; n'en point trouver qui suffisent ; ne pouvoir jamais inventer en aucun homme assez d'erreurs, de notions confuses, d'infatuation et de vanité pour rendre compte, si l'on peut dire, de ce cataclysme humain ; voir tous les héros à la roue et les lâches devant le fouet ; sans aucune colline ni montagne où se retirer, où ce flot n'arrive point. Savoir que, quand on se serait sauvé dans la lune, on en reviendrait aussitôt, non point pour faire digue, mais pour être flot ; par des raisons flamboyantes qui mordent le coeur ; par une émulation de souffrir, qui rend impitoyable ; par un amour, par un fol espoir ; par un remords aussi, d'avoir approuvé trop légèrement tant de discours emphatiques ; et, il faut le dire quoique ce soit plus amer, par une profonde paresse, un appétit de dormir, et, en dormant, d'être ouragan, avalanche, torrent ou flamme, sans pensée aucune, sans vouloir aucun. Car, dites-moi qui nous a donné cette pensée, cette arme qui est la pensée, sans nous en expliquer l'usage ?»
Mars ou la guerre jugée. Alain. Editions Gallimard (1936)
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