«Hans ne pouvait plus admettre que sa femme se donne toujours raison à elle-même, de l'accuser lui d'être le seul coupable de la mésentente. Elle ne doutait pas un instant de la justesse de sa cause, de son innocence absolue. Il n'avait que des torts, à elle on ne lui faisait que du tort. Comme elle ne faisait jamais de mal, comme il ne faisait que du mal, il devait, pour que la paix revienne à la suite des scènes de ménage, reconnaître qu'il avait tort, qu'il était le seul à avoir tort. Il devait capituler. Elle demandait la capitulation totale, sans conditions. Naturellement , puisqu'elle avait raison. Elle s'arrangeait pour qu'il fût toujours en état d'accusation. Il se débattait , bien entendu, comme un beau diable, il essayait de se justifier, de s'expliquer, donc, de se trouver des excuses. Ce qui faisait que plus il se débattait, plus il s'enfonçait aux yeux de sa femme, peut être même à ses propres yeux, dans le marécage de la culpabilité. Toute discussion était vaine, il se trouvait devant un mur , un mur sans oreilles, un refus d'entendre, elle était le refus incarné ; bien entendu il piquait des colères folles, des crises de rage et c'est justement cette crise de colère qu'elle espérait, consciemment ou non. De cette façon, la colère de l'homme étant obtenue, celui-ci ne pouvait plus se sentir coupable, ne pas être envahi par un remords énorme : et c'est ainsi qu'il capitulait, après chaque discussion, pendant des années, tous les jours, plusieurs fois pour jour. A la fin, elle pardonnait. Pas d'arrangement, pas de marchandage, pas de contrat, pas de parole entendue, c'était déjà pas mal qu'il obtienne le pardon.»
Journal en miettes. Eugène Ionesco. Mercure de France (1967)
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