«Elle se réjouissait d'avoir eu l'inspiration de mettre des bas transparents à la pensée que Reggie Wylie pourrait sortir mais elle n'en était plus là. Voilà que se réalisait ce dont elle avait si souvent rêvé. Voilà celui qui lui importait désormais et elle laissait la joie illuminer son visage parce que c'était lui qu'elle voulait parce que l'instinct le lui signalait comme unique au monde. C'est de tout son coeur que la femmenfant se livrait à lui, son maridéal, parce que d'emblée elle avait su que c'était lui. S'il avait souffert, plus à plaindre qu'à blâmer, et même, même s'il avait été effectivement à blâmer, méchant homme, elle ne voulait pas en tenir compte. Même s'il était protestant ou méthodiste elle pourrait le convertir aisément, il n'y mettrait aucun obstacle si vraiment il l'aimait. Il est des plaies qui demandent à être pansées avec le baume de l'amour. Elle était une femme vraiment femme, non comme toutes ces greluches, garçonnes, qu'il avait connues, ces créatures qui vont à bicyclette pour montrer ce qu'elles n'ont pas et elle s'impatientait de tout savoir pour tout pardonner, si elle parvenait à le faire tomber amoureux d'elle, elle lui ferait oublier la mémoire du passé. Alors sans doute la prendrait-il doucement dans ses bras à la façon d'un vrai mâle, presserait-il son souple corps contre le sien et l'aimerait-il, sa petite fille toute à lui, parce qu'elle serait pour lui unique au monde.»
Ulysse. James Joyce. Gallimard (2004)
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