Mourir à Ibiza (un film en trois étés)
Entretien avec Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon
Quel était votre projet pour Mourir à Ibiza, votre premier film, un portrait de quatre jeunes en quête d’amour et de bonheur ?
C’est devenu tard un projet de long métrage. C’était d’abord des courts métrages tournés pendant trois étés de 2019 à 2021. Au début, on voulait faire de l’improvisation avec des gens qu’on avait envie de filmer, explorer un lieu et faire tout ça le plus légèrement et collectivement possible. L’écriture du premier s’est faite en une nuit. On voulait reprendre le motif de Conte d’été mais le détourner avec nos préoccupations du moment et ce qui nous faisait marrer. L’idée, c’était qu’une jeune femme qui vient profiter de ses vacances ne se retrouve confrontée qu’à des garçons empêchés dans leurs désirs. C’est une quête de tendresse collective où personne n’ose s’exprimer. Donc, ça crée beaucoup de gêne, de malentendus et de surprises. C’est un bon terrain de jeu et ça correspondait à nos rapports aux autres à la sortie de l’adolescence. On avait envie de se mettre à la hauteur des personnages, sans commenter.
Qu’est-ce qui vous a décidé à poursuivre après le premier été ? Comment avez-vous développé le scénario ?
On n’a jamais écrit le scénario du long métrage. Ça s’est fait dans l’autre sens. Après avoir tourné la partie à Arles on avait envie de retrouver les personnages et on s’est demandé, comme dans une grande saga, comment on pourrait prolonger leurs aventures en explorant leurs faces cachées. Pour chaque été, on partait d’un séquencier qu’on développait aux repérages puis avec les acteurs au tournage. Le scénario s’est construit en entrechoquant les trois étapes.
La mer est-elle le fil rouge qui relie ces trois parties ?
On ne l’a jamais formulé comme ça. Ça l’est devenu parce que la mer, c’est la promesse de l’aventure, mais aussi la solitude, les mystères, les arrivées, les départs… C’est devenu l’incarnation de tous les sujets qu’on abordait.
Qu’est-ce qui a déterminé le choix de ces trois lieux : la ville d’Arles, la plage d’Étretat et Ibiza ?
Ce sont trois lieux emblématiques qui nous donnaient l’intuition qu’on pourrait y raconter nos histoires. Arles d’abord car on pouvait s’y loger gratuitement et qu’on connaissait quelques personnes mais aussi parce qu’on sentait qu’on pourrait y tourner un film chaud et vivant. La façade de carte postale nous plaisait aussi, l’architecture antique, la Camargue… Et comment on allait pouvoir gratter le vernis pour découvrir la vie des personnages. Étretat c’était le contraire : la cité balnéaire, ses falaises, la grisaille, le vent qui siffle. Une espèce de mysticisme. On voulait faire le verso du premier, un moment bizarre qui tourne mal. Et le troisième ça devait être le bouquet final, donc difficile de faire mieux qu’Ibiza. Une île sur laquelle se côtoient des mondes qui n’ont rien à voir : la richesse débordante, le tourisme de masse, les locaux, les hippies… C’était un imaginaire riche et c’était un défi d’aller y tourner en pirate.
Vous avez réalisé Mourir à Ibiza à trois. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
On fait tout ensemble de l’écriture à la postproduction. Et sur le tournage, on est techniciens et réalisateurs. Mattéo à l’image, Léo au son et Anton pour l’écriture des dialogues au pied levé et l’assistanat, le scripte… Il y a aussi Manon qui s’occupe de l’extérieur du plateau, entre la direction de production et la régie. Quand les comédiens ne jouent pas, ils nous aident aussi. Pour la mise en scène, on fonctionne comme une bête à trois têtes, en s’efforçant de ne jamais tomber dans un consensus mou.
Comment avez-vous composé le casting avec des jeunes comédiens et des acteurs non professionnels ?
Le casting s’est fait sur un coup de tête. On a proposé aux gens qu’on avait envie de faire jouer et qu’on sentait motivés par l’aventure collective. C’était très important que se mélangent comédiens et amateurs, même parmi les personnages principaux, pour trouver la fragilité. Tous les personnages secondaires sont des gens qu’on rencontre et que ça amuse de jouer… Souvent les rôles se créent au dernier moment, en repérages ou au tournage.
Dans ce ménage à quatre, Léna est la plus volontaire quand les hommes sont plus velléitaires. Comment avez-vous défini leurs caractères ?
Plus ou moins consciemment on avait envie de parler d’une lâcheté qu’on ressentait en nous, une pression absurde qu’on s’infligeait et qui nous faisait agir bizarrement, ou violemment. Avoir une peur panique de l’amour dont on a pourtant désespérément envie. Léna est aux prises avec des personnages masculins coincés là-dedans. C’est aussi beaucoup les acteurs qui ont créé leur personnage, comme des clowns d’eux-mêmes, en proposant des situations, leur nom, leurs costumes…
Le film est tourné pendant l’été avec une lumière particulière. Quels étaient vos choix à l’image ? Les directions étaient-elles différentes selon les lieux ?
Les choix à l’image ont été dictés par la légèreté, la discrétion et par l’extrême petit budget. On a tourné en mini-DV, en HD et en 2K. On trouvait que la modernisation de l’image allait avec le temps qui passe. Pour chaque été, on avait un film de référence pour l’énergie des mouvements de caméra. À Arles, c’était Les Choses de la vie, d’où une partie sur pied avec des panoramiques et des plans-séquences avec des zooms dans les mouvements. Pour Étretat, c’est les premiers films de Jim Jarmusch. Pour Ibiza, on avait imaginé quelque chose de plus dynamique avec des mouvements pour presque tous les plans. Les Roseaux sauvages nous avait marqué pour ça. Le film a été tourné en lumière naturelle, sans pouvoir choisir les heures de tournage (car on a tourné dans l’ordre chronologique). Il fallait tourner avant que la lumière ne change et trouver vite le bon axe pour que la direction soit bonne sur les comédiens.
Le troisième été est marqué par des chansons et des séquences chantées. Aviez-vous un désir de comédie musicale ?
On voulait que les sentiments puissent enfin s’exprimer haut et fort, donc la chanson s’est imposée. Ça nous permettait de finir en fanfare et d’explorer un genre artificiel, de se poser d’autres questions de mise en scène. En fait, chaque été était une façon de mettre en forme les envies de cinéma dont on parlait pendant l’année.
Comment avez-vous choisi les musiques pour chaque été ?
Pour Arles ça s’est beaucoup joué avec le son des endroits où on débarquait. Comme la feria ou la fête en Camargue. On a très peu influencé ces choix, souvent car c’était impossible mais aussi car ça nous amusait de sentir les personnages dans le jus d’un été dans le sud, avec ses classiques des 80’s. Vivaldi était là dès l’écriture pour son côté rohmérien. Étretat c’était le premier été Covid et on l’a vite senti. Pas de bal ou de fête, du coup les seules musiques qui restent sont off. Red Red Wine est celle qui fait la liaison avec Ibiza, la variation d’une chanson que chantera Magda ensuite. Pour Ibiza, on a eu envie de mélanger des compositions pour se frotter à l’écriture avec des réadaptations complètes de chansons. Même certains morceaux in qu’ils écoutent sont des reprises hyper différentes des originaux, comme Allumer le feu sauce reggae.
Propos recueillis par Olivier Pierre FID 33e festival international de Marseille
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