«Et quand je racontais quelque chose sur mon enfance, par exemple, quelque chose de parfaitement ordinaire et d’habituel que tout le monde avait vécu, ça devenait important parce que c’était moi qui le disais. Ça me dévoilait, moi, l’auteur de ces deux livres bons et importants. Et ce jugement sur lequel reposait la situation, je l’acceptais mais je l’acceptais de tout cœur. Et caquetais comme une poule au milieu de la volaille. Tout en sachant ce qu’il en était en réalité. Combien de bons livres vraiment importants sortaient en Norvège ? Environ un tous les dix à vingt ans. Le dernier bon roman norvégien c’était Fyr og Flamme de Kjartan Fløgstad, publié en 1980, il y avait vingt-cinq ans. Celui d’avant, c’était les Oiseaux de Vesaas, en 1957, trente-cinq ans encore auparavant. Et combien de romans norvégiens ont été publiés entre-temps ? Des milliers ! Oui, des milliers ! Quelques-uns sont bien, quelques autres plus nombreux sont moyens et la plupart sont mauvais. C’est ainsi, ça n’a rien d’extraordinaire et tout le monde le sait. Le problème, c’est tout ce qu’il y a autour, la flatterie que les auteurs médiocres sucent comme des bonbons et ce qu’ils sont capables de dire dans les journaux et à la télévision à cause de la fausse image qu’ils ont d’eux-mêmes.Oh je pourrais m’arracher les cheveux de rage et de honte pour m’être laissé appâter encore et toujours. Ces dernières années, en ces temps de médiocrité débordante, j’avais appris une chose qui me paraissait extrêmement importante :Ne va pas croire que tu es quelqu’un de spécial.Ne va pas surtout pas croire que tu es quelqu’un de spécial. Car tu ne l’es pas. Tu n’es qu’une petite merde médiocre et prétentieuse.»
Un homme amoureux. Karl-Ove Knausgaard. Denoël (2014)
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