La maman et la putain. Jean Eustache (1974)
Un chef d’œuvre du cinéma français
Hallelujah ! Un des plus grands films du cinéma français, quasiment invisible dans de bonnes conditions depuis des années, fait son retour sur grand écran, qui plus est dans une copie restaurée 4K par Les films du Losange qui met particulièrement en valeur les contrastes et la lumière du magnifique Noir et blanc du Directeur de la photographie Pierre Lhomme. Ce film, c’est La maman et la putain, le chef d’œuvre de Jean Eustache, un film tourné entre mai et juillet 1972 et qui fit scandale lors du Festival de Cannes 1973, tout en y remportant Grand Prix du Jury et le prix de la Fédération de la presse cinématographique internationale. Cette version restaurée a permis le retour de ce film au Festival de Cannes le 17 mai dernier, dans le cadre de la sélection Cannes Classic, avec une projection dans la salle Debussy du palais des Festivals qui s’est terminée par une « standing ovation » de 10 minutes saluant ET le film ET la présence physique de Françoise Lebrun et de Jean-Pierre Léaud. Scandale en 1973, ovation en 2022 !
Si il parait difficile de ne pas comprendre les raisons de l’ovation en 2022, on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé une partie des spectateurs à siffler ce film il y a 49 ans. L’explication la plus plausible réside dans le rejet par certains festivaliers du langage souvent très cru utilisé par les protagonistes du film. Passons ! Une autre explication est tout aussi évidente : le fait, tout bête, pour de nombreux spectateurs de 1973 de ne rien avoir compris au film, d’y avoir vu une œuvre immorale avec une apologie de l’amour libre post 68 et un éloge du trouple (un mot qui n’existait pas à l’époque et qui désigne une relation amoureuse à trois, ici Marie, la maman, Alexandre et Veronika, la putain). Rien compris au film ! En réalité, La maman et la putain est, tout au contraire, un film particulièrement moral. En effet, si on entend Veronika dire qu’elle peut coucher avec n’importe quel homme, ce qu’elle ne se prive pas de faire, si elle ajoute « Pourquoi les femmes n’auraient-elles pas le droit de dire qu’elles ont envie de baiser avec un type ? », le plan séquence, magnifique, émouvant, où en larmes, elle prend le contre-pied de tout ce qu’elle avait affirmé (et pratiqué) auparavant en déclarant qu’on ne devrait « baiser » qu’avec les personnes qu’on aime d’amour et, pourquoi pas, en espérant, en tant que femme, tomber enceinte, permet, au minimum, de se demander dans quel discours de Veronika Jean Eustache se reconnaissait le plus !
50 ans après le tournage du film, 2 des 3 principaux interprètes du film sont toujours vivants : dans ce qui fut son premier rôle au cinéma, Françoise Lebrun, qui fut un temps, quelques années avant le film, la compagne de Jean Eustache, est absolument remarquable. Comme d’habitude, ajouterons nous ; Jean-Pierre Léaud joue comme il a toujours joué : certains aiment, certains n’aiment pas ! Quant à Bernadette Lafont, elle aussi joue comme elle a toujours joué, mais, la concernant, que celles et ceux qui ne l’apprécient pas aient le courage de se manifester ! On a dit plus haut tout ce qui rendait sublime la photographie de Pierre Lhomme, faisant de ce film, en plus de la description des histoires « amoureuses » de jeunes adultes quelques années après 1968, un remarquable documentaire sur le Paris du début des années 1970, ou, plus précisément, sur un quartier bien précis, le 6ème arrondissement, avec, en particulier, le café de Flore, les Deux Magots et le Jardin du Luxembourg. Si l’œil prend une part très importante dans le jugement très positif qu’on porte sur ce film, il est bon de préciser que l’oreille n’est pas en reste, la qualité du son, capté par Jean-Pierre Ruh, étant également exceptionnelle : les bruits de la ville, ceux des moteurs, ceux, même, des briquets, à une époque où le film donne l’impression que tout le monde, ou presque, était adepte de la clope. Quant à la musique, il n’y en a pas et … il y en a. En fait, les seules musiques qu’on entend, et elles sont nombreuses, ce sont celles que les personnages écoutent à un moment ou à un autre du film, allant de Damia à Deep Purple, en passant par Offenbach et Edith Piaf.
Jean-Jacques Corrio Critique Express (8 juin 2022)
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