samedi 31 août 2024

«La seule traduction de l'effort qui mérite grâce à leurs yeux est la sueur que produisent leurs corps. L'impudeur du ruissellement a de l'allure : elle souligne leur force brute et libre. Mais surtout, l'odeur de la sueur les associe les uns les autres, charnellement.»

Sans classe ni place : l'improbable histoire d'un garçon de nulle partNorbert Alter. PUF (2023)

«J'éprouvai un vif mouvement de reconnaissance pour Albertine qui, je le voyais, n'était pas allée au Trocadéro pour les amies de Léa, et qui me montrait, en quittant la matinée et en rentrant sur un signe de moi, qu'elle m'appartenait même pour l'avenir plus que je ne me le figurais. 
Il fut plus grand encore quand un cycliste me porta un mot d'elle pour que je prisse patience et où il y avait de ces gentilles expressions qui lui étaient familières : 
"Mon chéri et cher Marcel, j'arrive moins vite que ce cycliste dont je voudrais bien prendre la bécane pour être plus tôt près de vous. Comment pouvez-vous croire que je puisse être fâchée et que quelque chose puisse m'amuser autant que d'être avec vous ? 
Ce sera gentil de sortir tous les deux, ce serait encore plus gentil de ne jamais sortir que tous les deux. Quelles idées vous faites-vous donc ? Quel Marcel ! Quel Marcel ! Toute à vous, ton Albertine."»

La prisonnière. Marcel Proust. GF Flammarion (1987)

samedi 24 août 2024

Réminiscence personnelle (77)

«La chaleur de la peau de Véronique, la rondeur de ses fesses, ses gémissements de plaisir ne cessent de l'appeler à s'introduire en elle. Il éprouve alors l'émotion attendue par leurs corps Mais il ressent aussi l'évidence de son être, la certitude de son existence. La douceur de la chair de Véronique, de son sexe, le protège du reste du monde. Elle murmure parfois : "Tu es là, dans mon corps, à ta place." Elle le lui dit vraiment. Cela le bouleverse : en elle il est chez lui. Le plaisir leur indique que cette place, qui les associe parfaitement est un don du ciel, une extraordinaire coïncidence de leurs corps. Pendant les deux jours qu'ils passent ensemble, Véronique lui répète encore sans que jamais il n'ose le lui demander : "Tu es là, dans mon corps, à ta place." Il aime la redondance de ce propos. Véronique est sa petite Maison.»

Sans classe ni place : l'improbable histoire d'un garçon de nulle part. Norbert Alter. PUF (2023)


mardi 20 août 2024

PBF 2024.20 : A la rencontre d'Emma Bovary

Mercredi 28 août 2024 à 19H, la Petite Boutique Fantasque retrouve avec plaisir une nouvelle fois Monique Calinon de la BNF pour sa chronique Fières de lettres. Aujourd'hui non découvrons Georgette Leblanc, entre autre soeur de Maurice Leblanc (Arsène Lupin) et compagne pendant plus d'une vingtaine d'années d'un autre Maurice, Maeterlinck, sans oublier sa carrière de chanteuse, sa proximité des musiciens de son temps et tant d'autres aspects de la vie de cette femme fascinante.


Programmation musicale :
1) Valse op 64 N°1 (Frédéric Chopin) Alexandre Tharaud
2) Vision fugitive extrait d'Hérodiade (Jules Massenet) Étienne Dupuis / Orchestre de l'opéra de Lyon / Daniele Rustioni
3) J'ai pas de regrets (Serge Reggiani) 
4) Aquarelle (Isabelle Mayereau)
5) L'aria de la sonate violon et continuo N°1  (Élisabeth Jacquet de la Guerre) Ensemble Amarillis / Héloïse Gaillard
6) Étude op 52 n°1 (Camille Saint-Saens) François-René Duchable
7) Antoinette a peur du loup (Anne Sylvestre) 
8) Extrait de la Création du monde (Darius Milhaud) Orchestre national de France / Leonard Bernstein
9) La demoiselle (Angelo Branduardi)
10) Les ombres du soir (Hubert-Félix Thiéfaine)

+ Chronique Fières de lettres de Monique Calinon (BNF) sur Georgette Leblanc : À la rencontre d'Emma Bovary

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/a-la-rencontre-demma-bovary-la-petite-boutique-fantasque/

 
Sus aux Philistins ! 
 
 Photographie de Georgette Leblanc (Gallica)

dimanche 18 août 2024

Visionnage domestique (199)

 

 Le déclin de l'empire américain. Denys Arcand (2018)

Lecture Marathon des mots (2)

Pour en finir avec Eddy Bellegueule. Édouard Louis. Marc Fauroux. Mondouzil vendredi 28 juin

Lecture Marathon des mots (1)

La gana. Fred Deux. Denis Lavant. Ombres Blanche mardi 25 juin

Pessimisme intrinsèque

139

«Nous nous entendons parce que nous nous ignorons. Qu'en serait-il de tous ces conjoints heureux s'ils pouvaient voir chacun dans l'âme de l'autre, s'ils pouvaient se comprendre, comme disent les romantiques, qui ignorent le danger -même s'il s'agit là d'un danger futile- de ce qu'ils disent. Tous les mariés du monde sont mal mariés, parce que chacun d'eux garde en soi, dans ces recoins secrets où notre âme appartient au Diable, l'image subtile de l'homme désiré, qui n'est pas celui-là, la silhouette ondoyante de la femme sublime, que celle-là n'incarne pas. Les plus heureux ignorent qu'ils portent en eux ces frustrations ; les moins heureux ne les ignorent pas, mais ne veulent pas les connaître, et seul quelque frustre élan, quelque dureté dans le comportement évoquent, à l'occasion de gestes ou paroles superficiels, le démon caché, l'Ève éternelle, le chevalier et la Sylphide.»

Livre(s) de l'inquiétude : Vicente Guedes, Baron de Teive, Bernardo SoaresFernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (2018)

vendredi 16 août 2024

«L'exclusion qui avait formé la matière de sa vie se jouait dans des détails si minuscules, si minuscules, je pensais en l'écoutant : à plus de cinquante ans elle n'a encore jamais expérimenté certaines saveurs, jamais éprouvé certaines sensations gustatives, comme une forme de dépossession culinaire et sensorielle. Quand on pense à la difficulté à s'acheter des vêtements ou à payer des factures, mais on ne pense pas à ces choses-là, les saveurs, les odeurs, les sensations jamais connues.»

Monique s'évadeÉdouard Louis. Éditions du Seuil (2024)

jeudi 15 août 2024

130

«L'art est une façon d'esquiver l'action ou la vie. L'art est l'expression intellectuelle de l'émotion, distincte de la vie, qui est l'expression volitive de l'émotion. Ce que nous n'avons pas, ou n'osons pas, ou n'obtenons pas, nous pouvons le posséder en rêve, et c'est avec ce rêve que nous faisons de l'art. Parfois l'émotion est si forte que, même réduite à l'action, cette action, à laquelle elle est réduite ne la satisfait pas ; avec l'émotion qui reste, qui ne s'est pas exprimée dans la vie, on fait l'oeuvre d'art. Ainsi, il y a deux types d'artistes : celui qui exprime ce qu'il n'a pas, et celui qui exprime ce qui lui reste de ce qu'il a eu.»

Livre(s) de l'inquiétude : Vicente Guedes, Baron de Teive, Bernardo SoaresFernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (2018)

mercredi 14 août 2024

PBF 2024.19 : Chat, souris, flamants roses et asphodèles

Mercredi 14 août 2024 à 19H, la Petite Boutique Fantasque retrouve avec plaisir une nouvelle fois Jean-Christophe pour un nouveau texte qui nous propose une typologie animale de personnes qu'il a rencontrées.

Programmation musicale :
1) La tarantella (Samarabalouf)
2) Ce soir je n'entends rien (Michèle Bernard)
3) Le secret (Arthur H.)
4) Sur mon épaule (Les cowboys fringants)
5) Les asphodèles (Marie Laforêt)
6) Madrigal extrait de Masques et bergamasques opus 35 (Gabriel Fauré)Orchestre du Capitole / Michel Plasson
7) La petite vieille (Foire aux chapeaux)
8) Rien (Jacques Higelin)
9) Mourir demain (Gribouille)
10) Regarde-moi (Les hôtesses d'Hilaire) 

+ Texte de Jean-Christophe lu par ses soins : Chat, souris et flamants roses

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/chat-souris-flamants-roses-et-asphodèles-la-petite-boutique-fantasque/
 
Sus aux Philistins !
 
 Photographie de Beth Wilson par Hermann Landshoff

«C'est ça aussi, la distance de classe, la violence de classe : ne plus pouvoir chanter à deux dans une voiture, ne plus pouvoir rire ensemble dans les rayons d'un supermarché.»

Monique s'évadeÉdouard Louis. Éditions du Seuil (2024)


lundi 12 août 2024

128

[...]

«Comme tous les grands passionnés, j'aime la sensation délicieuse de me perdre, où l'on souffre totalement du plaisir de l'abandon. Et c'est ainsi que, souvent, j'écris sans vouloir penser, pris dans une divagation extérieure, laissant les mots me cajoler, comme un petit enfant serré dans leurs bras. Phrases dénuées de sens, qui coulent morbides, avec la fluidité d'une eau sensible en oubliant la rivière où les ondes se mêlent et s'indéfinissent, sans cesse différentes tout en se succédant à elles-mêmes. Ainsi les idées, les images frémissantes d'expression, passent en moi tels des cortèges sonores de soies fanées, où le clair de lune d'une idée clignote, tacheté et confus.»

[...]

Livre(s) de l'inquiétude : Vicente Guedes, Baron de Teive, Bernardo SoaresFernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (2018)

dimanche 11 août 2024

«Pendant ces quelques jours de fuite et de préparation de sa Nouvelle Vie, ma mère réclamait une prise en charge totale. Elle estimait qu'elle avait droit au repos et à l'assistance radicale après ce qu'elle venait de vivre, et j'étais d'accord, je le faisais volontiers [...]»

Monique s'évade. Édouard Louis. Éditions du Seuil (2024)



83

«Je suis toujours stupéfait quand j'achève quelque chose. Stupéfait, et désolé. Mon instinct de perfection devrait m'empêcher de terminer ; il devrait même m'empêcher de commencer. Mais j'oublie, et je le fais. Ce à quoi je parviens est le produit, en moi, non d'une décision de ma volonté, mais d'un renoncement de sa part. Je commence parce que je n'ai pas la force de penser, je termine parce que je n'ai pas le courage d'abandonner. Ce livre est ma lâcheté.»

[...]

Livre(s) de l'inquiétude : Vicente Guedes, Baron de Teive, Bernardo SoaresFernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (2018)

86

[...]

«S'il y a une chose que je déteste, c'est un réformateur. Un réformateur est un homme qui voit les maux superficiels du monde et se propose de les guérir en aggravant ses maux fondamentaux. Le médecin tente d'adapter le corps malade au corps sain ; mais nous, nous ne savons pas ce qui est sain ou malade dans la vie sociale.»

[...]

Livre(s) de l'inquiétude : Vicente Guedes, Baron de Teive, Bernardo SoaresFernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (2018)

samedi 10 août 2024

Visionnage domestique (198)

Les invasions barbares. Denys Arcand (2003)

44

[...]

«Supposons que je voie devant nous un jeune fille aux façons masculines. un être humain ordinaire dira d'elle, "Cette jeune fille à l'air d'un garçon". Un autre être humain ordinaire, plus conscient déjà que parler c'est dire, dira d'elle, "Cette jeune fille est un garçon" Un autre également conscient des devoirs qui s'attachent à l'expression, mais davantage mû par un penchant pour la concision, qui est la sève de la pensée, dira d'elle, "Ce garçon". Moi je dirai : "Cette garçon" violant ainsi la plus élémentaire des règles grammaticales, qui exige que s'accordent en genre et en nombre le substantif et l'adjectif.»

[...]

Livre(s) de l'inquiétude : Vicente Guedes, Baron de Teive, Bernardo SoaresFernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (2018)

Réminiscence personnelle (76)

35

[...]

«En descendant aujourd'hui la Rua Nova do Almada, j'ai soudain remarqué le dos de l'homme qui la descendait devant moi. C'était le dos banal d'un homme quelconque, le veston d'un costume modeste sur les épaules d'un passant occasionnel. Il avait un vieux cartable sous le bras gauche, et posait sur le sol, au rythme de ses pas, un parapluie plié qu'il tenait par sa poignée courbe de la main droite.»

[...]

Livre(s) de l'inquiétude : Vicente Guedes, Baron de Teive, Bernardo SoaresFernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (2018)

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (73)

«Le triomphe de la Jeune-Fille tire son origine de l'échec du féminisme.»

Premiers matériaux pour la théorie de la jeune-FilleTiqqun. Mille et une nuit. (2001)

 

dimanche 4 août 2024

Visionnage domestique (197)

 
Le déclin de l'empire américain. Denys Arcand (1986)

«A partir de travaux sur La France, je voudrais essayer de présenter les éléments d'une. discussion sur un triple problème qui a souvent été posé par les historiens depuis une vingtaine d'années, et jamais clairement élucidé :
- le premier, c'est l'interprétation des phénomènes français auxquels on a donné le nom de Fronde (1648-1653)
- deuxième, c'est la fréquente constatation d'un parallélisme et même l'affirmation d'une unité entre les nombreuses révolutions européennes du milieu du XVIIe siècle (l'anglo-saxon Merriman en comptait six en 1938)
- Le troisième, qui transcende les précédents, est celui de la crise, ou de la prétendue crise du XVIIe siècle. Cette dernière discussion date des années 1950 ; elle vint au premier plan grâce à des articles de Past and Present (Hobsbawm, 1956 ; Trevor-Roper, 1959) et aux positions de Roland Mousnier dans un manuel sur les XVIe-XVIIe siècles dans l'Histoire générale des civilisations. Depuis le problème a été un peu perdu de vue, probablement à tort.»

Le siècle de Louis XIVPierre Goubert. Éditions de Fallois (1996)