samedi 6 juillet 2024

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Un homme, même si je peux le reconnaître en pensée que c'est un être vivant comme moi, a toujours eu, pour ce qui est en moi, involontairement, est véritablement moi, moins d'importance qu'un arbre si l'arbre est plus beau. C'est pourquoi j'ai toujours considéré les mouvements humains -les grandes tragédies collectives de l'histoire ou de ce qu'on fait d'elle- comme des frises de vives couleurs, vides de l'âme de ceux qui les parcourent. Jamais ne m'a pesé ce qui avait pu arriver de tragique en Chine. C'est un décor lointain, même à sang et à peste.

Je me rappelle, avec une tristesse ironique, une manifestation d'ouvriers, sous l'égide de je ne sais quelle sincérité (j'ai toujours du mal à admettre la sincérité dans les mouvements collectifs, dans la mesure où l'individu, seul avec lui-même, est l'unique être qui sent). C'était un groupe compact et désordonné de crétins animés, qui avait défilé en criant des choses diverses face à mon indifférence hors-jeu. J'ai subitement eu la nausée. Ils n'étaient même pas suffisamment sales. Ceux qui souffrent vraiment ne font pas dans la plèbe, ne s'organisant pas en groupe. Quand on souffre on souffre seul

Livre(s) de l'inquiétude : Vicente Guedes, Baron de Teive, Bernardo SoaresFernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (2018)

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