Ce matin je suis sorti très tôt
parce que je m'étais éveillé encore plus tôt
et qu'il n'y avait rien que j'eusse envie de faire...
Je ne savais quelle direction prendre,
mais le vent soufflait fort, il poussait d'un côté,
et je suivis le chemin vers quoi le vent me soufflait dans le dos.
Telle a toujours été ma vie, et
telle je désire qu'elle soit à jamais ―
je vais là où le vent m'emporte et je
ne me sens pas penser.
Sur toute chose la neige a posé une nappe de silence.
On n'entend que ce qui se passe à l'intérieur de la maison.
Je m'enveloppe dans une couverture et je ne pense même pas à penser.
J'éprouve une jouissance animale et vaguement je pense,
et je m'endors sans moins d'utilité que toutes les actions du monde.
Voici peut-être le dernier jour de ma vie.
J'ai salué le soleil en levant la main droite,
mais je ne l'ai pas salué en lui disant adieu ―
non, plutôt en faisant signe que j'étais heureux de le voir :
c'est tout.
Lorsque l'herbe poussera au-dessus de ma tombe,
que ce soit là le signal pour qu'on m'oublie tout à fait.
La Nature jamais ne se souvient, et c'est par là qu'elle est belle.
Et si l'on éprouve le besoin maladif d' "interpréter" l'herbe verte sur ma tombe,
qu'on dise que je continue à verdoyer et à être naturel.
Poèmes desassemblés Fernando Pessoa. Poésie NRF (1960)
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