«Ô mon Dieu si on voyait seulement le commencement de votre règne. Si on
voyait seulement se lever le soleil de votre règne. Mais rien, jamais
rien. Vous nous avez envoyé votre Fils, que vous aimiez tant, votre Fils
est venu, qui a tant souffert, et il est mort, et rien, jamais rien. Si
on voyait poindre seulement le jour de votre règne. Et vous avez envoyé
vos saints, vous les avez appelés chacun par leur nom, vos autres fils
les saints, et vos filles les saintes, et vos saints sont venus, et vos
saintes sont venues, et rien, jamais rien. Des années ont passé, tant
d’années que je n’en sais pas le nombre ; des siècles d’années ont
passé ; quatorze siècles de chrétienté, hélas, depuis la naissance, et
la mort, et la prédication. Et rien, rien, jamais rien. Et ce qui règne
sur la face de la terre, rien, rien, ce n’est rien que la perdition.
Quatorze siècles (furent-ils de chrétienté), quatorze siècles depuis le
rachat de nos âmes. Et rien, jamais rien, le règne de la terre n’est
rien que le règne de la perdition, le royaume de la terre n’est rien que
le royaume de la perdition. Vous nous avez envoyé votre Fils et les
autres saints. Et rien ne coule sur la face de la terre, qu’un flot
d’ingratitude et de perdition. Mon Dieu, mon Dieu, faudra-t-il que votre
Fils soit mort en vain. Il serait venu ; et cela ne servirait de rien.
C’est pire que jamais. Seulement si on voyait seulement se lever le soleil de votre justice.»
Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc. Charles Péguy. Bibliothèque de la Pléiade (1975)
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