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Le livre de l'intranquillité (tome 2). Fernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (1992)
Le blog-note d'Aimable Lubin : extension du domaine radiophonique des Muses galantes et de la Petite Boutique Fantasque
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Le livre de l'intranquillité (tome 2). Fernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (1992)
«Jouisseur désabusé, il [Schopenhauer] a renversé les croyances, les espoirs, les poésies, les chimères, détruit les aspirations, ravagé la confiance des âmes, tué l'amour, abattu le culte idéal de la femme, crevé l'illusion des coeurs, accompli la plus gigantesque besogne de sceptique qui ait jamais été faite. Il a tout traversé de sa moquerie, et tout vidé. Et aujourd'hui même, ceux qui l'exècrent semblent porter malgré eux, en leurs esprits, des parcelles de pensée.»
Auprès d'un mort. Maupassant. Gallimard (1973)
«Extrême précocité des sponsalia, cérémonie par quoi le pacte était conclu entre les deux familles, le consentement mutuel exprimé, et, lorsque la fillette était trop jeune encore pour parler, un simple sourire de sa part semblait le signe suffisant de son adhésion. Mais précocité également des noces. La morale, la coutume autorisaient d'extraire l'enfant dès sa douzième année de l'univers clos réservé dans la maison aux femmes, où elle avait été couvée depuis sa naissance, pour la conduire en grande pompe vers un lit, pour la placer dans les bras d'un barbon qu'elle n'avait jamais vu, ou bien d'un adolescent à peine plus âgé qu'elle et qui, depuis qu'il était lui-même sorti, vers sa septième année, des mains féminines, n'avait vécu que pour se préparer au combat par l'exercice du corps et dans l'exaltation de la violence virile.»
Mâle Moyen-âge : De l'amour et autres essais. Georges Duby. Champs Flammarion (1988)
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Le livre de l'intranquillité (tome 2). Fernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (1992)
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Le livre de l'intranquillité (tome 2). Fernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (1992)
«J'étais donc assis à côté de ta grand-mère, et j'écoutais Bach [La Passion selon Saint-Jean]. J'étais alors un jeune homme au col très haut, avec une grosse cravate où une perle était piquée, j'avais des pantalons très étroits, et j'étais préoccupé surtout de la mine que je pouvais avoir, de l'idée que l'on se faisait de moi. J'écoutais Bach, mais comme on ne doit pas l'écouter : en pensant à autre chose. Or à un certain moment, je ne sais plus lequel, j'ai senti s'insinuer en moi, s'y installer, m'occuper tout entier, une émotion, un bonheur, que je n'ai reconnus que bien plus tard. Il faut avoir une fois au moins éprouvé cela, sinon ce ne sont que des mots. Simplement n'étais plus seul, j'étais délivré. Nous sommes ressortis dans la nuit, il y avait les mêmes lampadaires à la même place, les mêmes omnibus, le même mouvement de la rue. Nous avons pris un fiacre. Nous sommes rentrés rue Caumartin. J'étais ému et silencieux. Pourtant j'ai su me persuader que j'avais éprouvé une émotion esthétique, l'art pour l'art, la beauté pure, toutes ces sottises. Je m'étais approché de Dieu bien près, ce jour-là. A le toucher. Cela n'a duré que quelques minutes, et ma vie entière est passée là-dessus, un demi-siècle.»
Le bonheur du jour. José Cabanis. Gallimard (1960)
«Il ne se sentait plus trouble en son tréfonds, mais d'un noir brillant et dur. Il n'espérait plus en ces bondissements joyeux de la vie dont on s'exalte quand on est jeune. Il n'avait pourtant que vingt-six ans. Il se sentait sévère, désabusé et fatigué comme un vieux juge. Les femmes n'éveillaient plus en lui qu'un sentiment pâle et sans fièvre. Toutes celles qu'il avait convoitées, il les laissant maintenant s'évader de son esprit sans plus s'émouvoir de leur nudité imaginée, ou des parures obscènes dont il les avait attifées au fil de ses rêves. La chasteté qu'il avait tant redoutée, lui paraissait désormais facile et morne. Il n'en attendait aucune indulgence, aucun surcroît d'âme, mais il était décidé à l'assumer pour ne pas faillir à sa promesse, et parce qu'il était le chemin tracé.»
Bélibaste. Henri Gougaud. Points Seuil (1996)